La brève juridique N°80

La brève juridique N°80 parue le 12 / 05 / 2021

Rien ne sert de courir, il faut recourir à point…

 

Les contrats de la commande publique peuvent être contestés devant le juge administratif qui veille au respect des principes la commande publique, en particulier à l’égalité d’accès à celle-ci et à la transparence des procédures.

 

Plusieurs recours peuvent être intentés par les tiers intéressés. Ils peuvent être formés avant ou après la conclusion du contrat, devant le juge de l’urgence ou le juge du contrat. Ce risque doit être pris en compte par les acheteurs publics, dont l’action est soumise au contrôle du juge, tout au long de la passation du contrat et après sa signature.

 

Ainsi, au gré de la jurisprudence, revenons sur la place des recours dans la vie d’un contrat de la commande publique, puisque l’effectivité d’un recours est souvent liée à son « timing » (1), ce qui est vrai pour le juge comme pour le requérant, mais aussi liée aux moyens engagés (2).

 

 

  1. L’importance du « timing »

 

Selon quelle temporalité le juge apprécie la légalité d’un acte ?

Dans le prolongement de la consécration de la valeur constitutionnelle du droit d’accès aux documents administratifs par le Conseil constitutionnel[1], le juge administratif accroît l’effectivité du recours contentieux exercé à l’encontre d’une décision de refus d’accès à un document administratif

 

Le droit d’accès aux documents administratifs permet aux usagers de solliciter des documents administratifs achevés[2] produits par l’Etat, ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les autres personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public[3].

 

Lorsque l’autorité administrative refuse de communiquer un document et que le recours devant la Commission d’accès aux documents administratifs[4] (CADA) s’avère infructueux, un recours juridictionnel contestant la décision de refus de communication du document peut être exercé devant la juridiction administrative.

 

En l’espèce, l’administration a opposé un refus de communication de documents administratifs à deux administrés en raison, notamment, du caractère inachevé des documents.

 

Déboutés de leurs recours administratif et juridictionnel, les requérants se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’Etat. Parmi les moyens avancés à l’appui de leurs conclusions, il était avancé que lesdits documents étaient devenus communicables puisqu’ils avaient été achevés postérieurement à la date de la décision de refus opposée par l’administration.

 

  • Le Conseil d’Etat a été amené à déterminer la date au regard de laquelle doit s’apprécier la légalité d’une décision de refus de communication d’un document administratif.

 

Les magistrats du Palais Royal rappellent que, par principe, le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de l’acte administratif à la date de son édiction et que, par exception, le juge peut, selon l’objet de la décision litigieuse, apprécier la légalité de l’acte administratif au regard des circonstances de droit et de fait existant au jour où il statue.

 

En matière de communicabilité des documents administratifs, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait, le Conseil d’Etat considère que le juge de l’excès de pouvoir doit se placer à la date à laquelle il statue afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention.

 

Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 01/03/2021, 436654

 

 

Comment envisager le délai de recours contentieux encadrant la contestation du rejet d’une réclamation ?

L’Office Nationale des Forêts (ONF) a conclu un marché de travaux avec un groupement d’entreprises. L’ordre de service de démarrage des travaux, fixait le délai d’exécution à cinq mois.

 

En raison de considérations extrinsèques au marché, tenant notamment à la nécessité de ne pas empêcher la reproduction d’une espèce d’oiseau endémique de l’île de la Réunion, les travaux ont été reportés.

 

Estimant que l’ONF avait commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité du fait de l’interruption des travaux, le mandataire du groupement d’entreprises a sollicité une indemnisation ou, à défaut, la conclusion d’une transaction.

 

Après avoir accepté le recours à la transaction, l’ONF s’est ravisé par courrier. Le marché s’étant malgré tout poursuivi, les entreprises du groupement ont adressé une réclamation à l’ONF et, devant son silence, ont saisi le tribunal administratif de La Réunion afin que l’acheteur soit condamné à les indemniser. La requête est finalement rejetée en ce qu’elle apparaît comme manifestement irrecevable du fait de sa tardiveté.

 

Le litige ayant été porté devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, les juges ont été amenés à préciser le délai de recours contentieux encadrant la contestation du rejet d’une réclamation qui n’a pas trait au décompte général.

 

Rappelant les articles 50 et suivants du CCAG-Travaux, les magistrats indiquent qu’il est nécessaire de distinguer le mémoire en réclamation produit à l’encontre du décompte général de celui qui porte sur un autre objet.

 

Lorsque le mémoire en réclamation n’est pas produit à l’encontre du décompte général et que l’administration a opposé une décision défavorable, implicite ou explicite, l’entreprise n’est pas tenue de saisir le juge du contrat dans un délai déterminé.

 

En effet, le titulaire du contrat peut choisir « d’attendre la notification du décompte général du marché et […] reprendre alors, dans une nouvelle réclamation, l’ensemble des réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif ».

 

Ainsi, les requérants n’étant pas forclos, la cour administrative d’appel annule l’ordonnance litigieuse et renvoie l’affaire devant le Tribunal de la Réunion.

 

CAA Bordeaux, 7ème chambre, 25 mars 2021, 20BX03571

 

  1. L’importance des moyens

Vers un renforcement de l’effet utile du référé précontractuel?

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’Etat Grec), sur le fondement de l’article 267 du TFUE, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur la légalité du filtrage des moyens invocables par un candidat évincé d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique dans le cadre d’un référé précontractuel, au regard du droit communautaire, par un arrêt en date du 24 mars 2021.

 

La Cour de Luxembourg devait notamment déterminer si les moyens invocables par une entreprise évincée d’une procédure de passation d’un marché public, à l’appui d’un référé précontractuel, pouvaient être limités à ceux qui présentent un lien avec les manquements ayant conduit au rejet de l’offre.

Par une dynamique tendant à préserver l’effet utile dudit recours contentieux, la Cour a dit pour droit que l’entreprise peut invoquer à l’appui de son recours « tous les moyens tirés de la violation du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit, y compris des moyens qui ne présentent pas de lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue ».

 

Le droit prétorien interne ayant consacré un filtrage des moyens invocables par les entreprises à l’appui d’un référé précontractuel, une divergence d’interprétation semble ainsi se dessiner entre la Cour de Luxembourg et le Conseil d’Etat.

 

En effet, depuis plus d’une décennie, l’opérance d’un moyen invoqué par une entreprise, à l’appui d’un référé précontractuel, est conditionnée à la démonstration d’un rattachement à des manquements qui « eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent » sont « susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser »1. En d’autres termes, si le requérant ne démontre pas le lien de causalité entre le manquement invoqué et son éviction, le moyen sera, par principe, inopéran2.

 

La résonnance de l’interprétation Luxembourgeoise pourrait influer sur l’office du juge précontractuel. Le filtrage des moyens invocables en sortira-t-il indemne ?

 

CJUE, 24 mars 2021, C-771/19

[1] CE, 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, n°305420

[2] CE, 4 février 2009, Commune de Toulon, n° 311344

 

[1] Décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020

[2] Article L.311-2 du Code des relations entre le public et l’administration

[3] Article L.300-2 du Code des relations entre le public et l’administration

[4] Article R.311-15 du Code des relations entre le public et l’administration

  • ©2024 SIS Marchés Tous droits réservés
  • Mentions légales
  • Plan du site
  • Recrutement
  • Sitemap
Site réalisé par