La brève juridique N°90
La brève juridique N°90 parue le 19 / 04 / 2022
La conformité des offres passée au crible
Si la valeur des offres doit être évaluée en tant que telle par l’acheteur, il doit au préalable s’assurer que ces dernières sont conformes. L’article 2152-1 énonce en effet que les offres irrégulières, inacceptables ou anormalement basses sont éliminées.
La règle littéraire peut paraître simple… mais son application pratique est source de difficultés.
Il est en effet des hypothèses où l’acheteur n’est pas certain de la qualification juridique d’une offre : conforme, irrégulière, anormalement basse, inacceptable… Les jeux sont ouverts, la subjectivité est de mise !
Et pourtant… la qualification d’une offre revêt une importance considérable et fait l’objet d’un contrôle étroit de la part du juge.
Les instances juridictionnelles, nationales comme communautaire, ont récemment eu l’occasion de rappeler que l’on ne badinait pas avec les diverses qualifications juridiques des offres.
Tour d’horizon de l’actualité règlementaire :
- Un attributaire est recevable à contester la conformité de l’offre de son concurrent évincé ;
- Une entreprise dont l’offre n’est pas conforme ne peut pas se voir attribuer un contrat de la commande publique ;
- Une offre injustement qualifiée d’anormalement basse entraîne une annulation partielle de la procédure.
Un attributaire est recevable à contester la conformité de l’offre de son concurrent évincé
La compagnie Nationale Roumaine de chemin de fer (que l’on nommera désormais CFR) a lancé un appel d’offres pour la passation d’un marché public de travaux de réhabilitation de la ligne ferroviaire.
L’offre de la société Alstom a été exclue de la procédure en raison de considérations liées à la capacité de réalisation de l’objet du marché. Cette dernière a donc formulé un recours pour demander l’annulation de cette décision. La cour d’appel a fait droit au pourvoi et a considéré que l’offre de la société Alstom était recevable et que la CFR devait réévaluer l’offre de Brasig qui avait été désigné comme titulaire.
Suite à cette réévaluation, la société Alstom a été désignée titulaire, pourtant elle a à nouveau saisi le tribunal pour demander l’annulation de la décision de la CFR qui a déclaré l’offre de Brasig comme recevable et conforme.
Alstom reproche à Brasig d’avoir essayé d’influencer de manière répétée les membres du comité d’évaluation de la CFR afin de dévaloriser son offre.
Ce recours a été rejeté car considéré comme tardif, car dépassant le délai de 10 jours prévu par la règlementation Roumaine.
La question préjudicielle posée à la CJUE est la suivante :
Quel délai prendre en compte dans le cadre d’un recours formulé contre une décision d’admission d’un soumissionnaire ?
Pour la CJUE, afin d’assurer des recours efficaces contre les violations des dispositions applicables en matière de passation des marchés publics il convient que les délais prévus pour former ces recours ne commencent à courir qu’à compter de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation alléguée de ces dispositions.
CJUE, affaire C-523/20 du 24 février 2022
Une entreprise dont l’offre n’est pas conforme ne peut pas se voir attribuer un contrat de la commande publique
En l’espèce, une autorité concédante a lancé une consultation en vue de la passation d’une concession de service portant sur l’exploitation d’un aéroport.
Le règlement de la consultation (RC) imposait aux candidats de produire une note détaillant les principaux contrats que l’entreprise envisageait de conclure pour l’exécution de la concession ainsi que l’identité des futurs cocontractants.
Cependant, la note produite par l’attributaire ne comportait pas l’identité des futurs cocontractants…
Une entreprise évincée a donc saisi le juge qui a annulé la décision d’attribution en considérant que l’offre de l’attributaire était irrégulière du fait de l’absence de cet élément. Un pourvoi en cassation a donc été formé.
Le Conseil d’Etat se rallie à l’interprétation du premier juge en relevant que le RC imposait aux candidats de produire des éléments précis. Rappelons à ce sujet que les mentions du RC s’imposent autant aux acheteurs qu’aux entreprises [1].
Or, en l’absence de l’identité des futurs cocontractants, l’offre du candidat ne respectait pas les prescriptions du RC.
En conséquence, l’offre de l’entreprise était irrégulière et devait être éliminée. L’annulation de la décision d’attribution est confirmée !
Conseil d’Etat, 2 mars 2022, n°458354
Une offre injustement qualifiée d’anormalement basse entraîne une annulation partielle de la procédure
Une entreprise a candidaté à plusieurs lots d’une consultation portant sur des prestations de service de formation professionnelle.
L’acheteur a considéré que les offres proposées par l’entreprise étaient anormalement basses et les a rejetées.
Le candidat a exercé un référé précontractuel afin de contester le caractère anormalement bas de ses offres et, par suite, son éviction de la procédure.
Le juge des référés a relevé que les prix de l’entreprise n’étaient pas manifestement sous-évalués et de nature à compromettre l’exécution des prestations.
L’acheteur n’était donc pas fondé à écarter les offres comme étant irrégulières. Le juge annule en conséquence l’intégralité de la procédure.
Bien que l’entreprise ait obtenu « gain de cause » du fait de l’annulation de la procédure, cette dernière souhaitait que l’annulation ne porte que sur la phase de « sélection des offres » et non sur son intégralité. L’affaire a donc été portée devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat relève qu’un tel manquement « qui se rapportait à la seule phase de sélection des offres » ne pouvait entraîner une annulation de la procédure qu’à compter de l’examen des offres.
A charge pour l’acheteur de reprendre la procédure au stade de la sélection des offres s’il entend toujours conclure le marché !
Conseil d’Etat, 2 mars 2022, n°458019