La brève juridique N°92
La brève juridique N°92 parue le 14 / 06 / 2022
Des chiffres et des lettres :
Quand les critères font couler de l’encre !
La valorisation des critères d’attribution n’est pas un jeu en matière de marché public ou de concession.
Elle incarne à elle seule les principes fondateurs du droit de la commande publique : à savoir des critères et sous-critères transparents (pour l’analyse des offres), qui respectent l’égalité de traitement entre les candidats (par leur notation) et dont le jugement ne prive pas d’accès les entreprises aux procédures (de par leur situation fiscale).
Bien que le sujet soit connu des acheteurs, celui-ci ne cesse d’alimenter la doctrine administrative jurisprudentielle de tous niveaux…aussi, de haut en bas, faisons-le(s) point(s) !
Faut-il « noter » les critères d’attribution ?
Des chiffres, qui font des nombres, qui font des notes… Faut-il nécessairement « noter » les critères d’attribution d’un contrat de la commande publique ? Le Conseil d’État a jugé que non!
- Un principe !
En matière de « méthode d’évaluation » des offres, l’acheteur est libre dans son choix.
Mais on sait bien qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ! Ainsi le Conseil d’État rappelle que la méthode d’évaluation des offres librement déterminée par l’acheteur est toutefois irrégulière, quand bien même elle serait publiée dans le RC ou dans le DCE.
- Des limites ?
Les principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, applicables à tous les contrats de commande publique au 1er euro, impliquent les limites suivantes :
- les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer un critère doivent présenter un lien avec ledit critère ;
- les modalités d’évaluation ne doivent pas conduire à priver un critère de sa portée ou à neutraliser sa pondération.
Car il est impératif que ce soit la meilleure offre qui soit la mieux classée pour la mise en œuvre de chaque critère et que ce soit l’offre présentant le meilleur avantage économique global qui soit choisie, rappelle le Conseil d’État.
- Une précision…
En l’espèce, l’autorité concédante avait eu recours à un barème de notation matérialisé par des flèches de couleur pointant vers différents points cardinaux : de la flèche rouge cap au Sud, à la flèche verte cap au Nord, en passant par deux « notes » intermédiaires, flèches orange cap Nord-Est et Sud-Est.
Le Conseil d’État juge que l’absence de note chiffrée n’est pas une méthode qui, par elle-même, prive les critères de leur portée ou neutralise la hiérarchisation retenue. Bien au contraire, dès lors qu’elle « permet de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles ».
CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n°460090
Sous-critère, es-tu là ?
En matière de publicité appropriée des sous-critères, la cour administrative d’appel de Marseille livre deux enseignements. D’une part, la formulation doit être précise et orientée. D’autre part, les retraits de points ne peuvent se fonder que sur des exigences explicites.
- L’état du droit
Obligation de transparence, vous avez dit ? L’état du droit de la publicité des critères est sous-critère est relativement bien acquis par les acheteurs.
Pour mémoire :
- la publicité des critères est une exigence absolue ;
- la publicité des sous-critères est une exigence relative, selon que leur nature ou/et leur pondération permet de les assimiler à des critères à part entière ;
- la publicité des sous-sous-critères, le cas échéant, peut éventuellement être exigée eu égard à l’importance de ceux-ci au sein du sous-critère parent (et non au sein de la note globale) ;
- dans tous les cas, la publicité de la méthode de notation (c’est-à-dire les barèmes, les formules de calcul, etc… éventuellement appliqués) n’est pas exigée.
Cependant, quid de la lisibilité des critères et sous-critère ? Jusqu’à quel point leur libellé doit-il être précis ? Jusqu’à quel point le DCE se fait-il le relai des obligations de publicité de l’acheteur ?
L’arrêt du 4 avril 2022 rendu par la cour administrative d’appel de Marseille permet de tirer au moins deux enseignements.
- Premier enseignement : diriger pour mieux noter
Il ressort que le pouvoir adjudicateur ne doit pas se contenter d’énoncer le libellé de son critère ou sous-critère, ni même de lister les éléments sur lesquels son appréciation va porter. Il doit, au-delà, orienter les candidats afin de leur permettre de formuler la meilleure réponse possible à son besoin. En d’autres termes, il doit préciser ses exigences.
La cour rappelle que, pour les critères autres que le prix, le pouvoir adjudicateur doit informer des « conditions de mise en œuvre des critères », « selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné ».
Ce par quoi il faut entendre les éléments d’appréciation du critère.
- Second enseignement : exiger pour mieux pénaliser
Les exigences doivent non seulement être précises mais se doivent aussi, évidemment, d’être claires ! Ainsi le pouvoir adjudicateur ne peut pas ouvrir aux candidats la faculté de fournir un élément de prestation puis, dans la notation, sanctionner leur offre pour défaut de présentation de cet élément.
CAA Marseille, 4 avril 2022, Société AB Sud Formation, n° 20MA00365
Comment noter le prix en cas de TVA différentes ?
Lorsque les candidats à un même marché sont soumis à des règles fiscales différentes, il convient de comparer leurs prix sur une base égalitaire : soit des prix hors taxe, soit des prix TTC calculés sur la base d’un taux réel ou fictif, mais uniforme, de TVA.
La sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse doit tenir compte de la charge financière réellement supportée par le pouvoir adjudicateur.
En particulier, en matière de marchés publics, il en va ainsi pour la détermination de la méthode de notation du critère prix.
Par ailleurs, il se peut que des candidats à un même marché soient soumis à des taux de TVA différents, par exemple une société facturera la TVA là où l’autoentrepreneur ni ne la collecte ni ne la déduit (franchise de TVA).
Dès lors, cela signifie-t-il que les offres de prix doivent être appréciées en considération des différents taux de TVA applicables à chacune d’elle ?
Pas si vite, mon bon monsieur, ma bonne dame…Comme le rappelle le Tribunal :
« La régularité d’une méthode de notation de prix de prestations s’apprécie sans considération de la situation particulière de chacune des entreprises candidates et ne saurait donc dépendre, notamment, de leur situation fiscale respective au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA )».
Cela signifie-t-il que les offres de prix doivent toujours être comparées hors taxe ?
Toujours trop vite !
Le Tribunal a tôt fait d’ajouter que l’application fictive d’un taux de TVA n’est susceptible de vicier la procédure que si cette application a une incidence réelle sur la notation qui en découle.
En l’occurrence, ajouter un taux de TVA uniforme et procéder à la notation des offres sur la base d’une règle de trois, à partir de la fameuse formule non linéaire de G.R.A.M.P., ne modifie en rien les notes finales et le classement y est relatif.
Rappelons que la formule non linéaire de G.R.A.M.P., connue dans son principe mais moins dans son appellation, s’exprime de la façon suivante : (Nb maximal de points x Offre la moins chère / Offre à noter). De sorte que l’offre la moins chère obtient le nombre maximal de points affectés au critère prix.
Les amoureux des mathématiques remarqueront alors sans peine qu’ajouter 20% revient à multiplier par 1,20.
Par conséquent :
« S’il résulte du tableau d’analyse des offres que le pouvoir adjudicateur a comparé les prix toutes taxes comprises proposés par les soumissionnaires, il est toutefois constant qu’il a pris en compte une taxe sur la valeur ajoutée uniforme de 20 % pour chacun d’entre eux de telle sorte que cette erreur, du fait de l’application d’une règle de trois, a été sans conséquence sur la notation du critère du prix et n’a donc pas entaché la procédure de passation du marché en litige d’irrégularité ».
TA Rennes, ord. 13 mai 2022, Association Sevel services, n°2202133